Kamel Daoud : lettre ouverte à Erdogan

Au nom de ceux que vous avez tués, emprisonnés, torturés, Erdogan, vous n’êtes pas le bienvenu !

Non Erdogan vous n’êtes pas le bienvenu en Algérie.

Nous sommes un pays qui a déjà payé son tribut de sang et de larmes à ceux qui voulaient nous imposer leur califat, ceux qui font passer leurs idées avant nos corps, qui ont pris en otage nos enfants, ont tué des esprits, des élites et des possibilités d’avenir. Et cette «famille qui recule» au nom de Dieu ou d’une religion, vous en faites partie, vous la financez, vous la soutenez, vous rêvez d’en être le chef international.

L’islamisme qui fait votre pain a fait notre malheur et nous ne l’oublions pas et vous nous le rappelez aujourd’hui. Vous offrez non seulement votre ombre et votre aile à ceux qui veulent notre pays à genoux devant votre «Porte Sublime», mais vous incarnez aussi l’esprit contraire de notre nation : vous détestez la liberté, l’esprit libre, vous aimez les parades, les fonds de commerce par la religion, vous rêvez d’un califat sur nos dos et d’un retour sur nos terres.

Cela se fait en douceur aujourd’hui, en soutenant des partis islamistes chez nous, en offrant des cadeaux par le biais de vos entreprises, en noyautant le tissu associatif, en contrôlant des mosquées. Vieilles méthodes de vos «frères musulmans» qui nous montrent le Ciel de Dieu d’une main en creusant nos tombes de l’autre.

Non Monsieur Erdogan, vous n’êtes pas un homme d’aide, de lutte pour la liberté, de principes ni de «droit des peuples de disposer d’eux-mêmes» lorsqu’on voit à quels feux de mort vous soumettez les Kurdes, les opposants à votre dictature.

Vous pleurez avec la victime dans le Proche-Orient et vous signez des contrats avec son bourreau. Vous ne rêvez pas de notre dignité mais de votre califat. Nous gardons en mémoire vos répressions, vos listes de Turcs à traquer, vos sinistres prisons qui se remplissent chaque jour, votre justice à la botte de vos palais, vos insolences et vos vantardises.

Vous ne rêvez pas d’humanité à partager mais de jouer le remake des Ottomans et leurs seigneurs sanguinaires. L’Islam pour vous est un marchepied, Dieu une enseigne de commerce, la modernité une ennemie, la Palestine une vitrine et les islamistes locaux des courtisanes ébahies.

L’histoire retiendra de vous vos ruses pour garder le pouvoir, vos coups d’Etat clandestins, vos chasses à l’homme et aux différences, vos torturés et vos morts sur la conscience dans toutes les régions de la Turquie.

L’histoire retiendra vos bombardements, vos guerres punitives et votre incapacité à envisager le dialogue ou la dignité sauf pour votre personne et votre roman personnel. Le vote pour El Qods dont vous faites commerce ? Laissez-nous rire avec les Palestiniens : la Palestine est votre fonds de caravanier. Comme pour beaucoup. Vous savez tellement monter sur le dos des agenouillés !

En Algérie, on a souffert et on souffre encore de ceux qui se sont fait passer pour Dieu et ont décidé d’offrir et d’ôter la vie selon leur bon vouloir. Ils acclament votre venue, mais pas nous. Vous êtes l’idole des islamistes algériens et des populistes, incapables de penser la puissance sans mariage de jouissance avec un calife.

Nous sommes un pays de liberté rêvée, même remise en cause, un pays de dignité. Cela n’est pas votre ambition, ni votre vertu.

La belle Turquie vous en avez fait une prison et un bazar pour les vôtres, vos proches, une principauté. On espère pour cette belle nation qu’elle vous survivra, que survivront ses prisonniers, torturés, tués et enfants bombardés. Vous êtes une illusion, vous le savez et nous le savons.

Vous jouez sur l’histoire de nos humiliations, sur nos affects, nos croyances, pour vous présenter en sauveur et, en vérité, vous êtes le fossoyeur. D’abord de votre pays et ensuite de ses voisins. La Turquie est un miracle qui ne vous doit rien mais le doit aux libres femmes et hommes qui ont fait sa renaissance et son prestige. Dont Ahmet Altan que vous venez de condamner à la prison à vie.

Car comme tout islamiste, vous aimez voler les victoires des autres, attendre que murissent les révolutions pour les prendre en selle et vous désigner calife au nom de Dieu ou de l’histoire. Votre populisme perdra ce beau pays et vos prêches ne peuvent pas faire oublier vos crimes. Nos islamistes et nos populistes qui trouvent en vous, aujourd’hui, leur mécène après l’avoir trouvé chez les wahabites, ne sont pas nous, ne sont pas notre peuple. Ils sont juste votre harem idéologique.

L’histoire se rappellera des morts et prisonniers en Turquie, de la mise sous califat de ce beau pays, de vos purges et détournements, de vos avions de guerre et palais de justice selon votre justice. Des choses indignes de notre mémoire en Algérie. Il fallait vous le dire pour que vous ne reveniez pas chez nous en conquérant ottoman, en Barberousse libérateur. L’histoire des pirates qui se font passer pour des sauveurs nous la connaissons. Trop bien.

Nous rêvons d’une nation forte, libre, puissante, médiane et heureuse de ses racines et de ses récoltes. Acceptant les différences, la foi et la révolte, la religion comme choix, l’espoir comme devoir, la pluralité comme droit, le bonheur comme but.

Nous avons besoin d’amis et d’alliés aux mains qui ne soient pas tachées de sang. Votre ruse n’a pas chemin chez nous. Et vos agents ici n’ont pas de lendemain.

Vous n’êtes pas en terre conquise. Comme vos ancêtres qui nous ont colonisés, vous ne prendrez pas racine ici. Seulement une illusion de conquête. Comme tous les colons.

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