Farid M’Sili : Une vie au service de la jeunesse.
Par Tacfarinas Ounnoughi
On a souvent considéré que les hommages sont uniquement réservés aux morts, qui durant leurs vies ont accomplis avec bravoure leurs responsabilités existentielles, celle de se rendre utile à ceux qui les entourent. Farid M’Sili est l’un d’eux mais un vivant, présent parmi nous. Un homme humble, doté d’une simplicité incroyable, généreux comme son art. Un homme sans bruit, moins bavard, le seul bruit qu’il émet et le son de sa guitare, avec, il a pu accomplir des merveilles. La transmission des valeurs et l’éducation de nos jeunes par la musique est l’une et si ce n’est l’unique savoir-faire qui ne cesse de développer, désormais sa seule vocation.
Farid et la musique et nos montagnes de Kabylie c’est toute une histoire. Dans la difficulté et aux racines lointaines, cet art qui est la musique occupe une place majeure dans nos villages, parce que c’est tout ce qui reste quand tout est muselé. En effet, l’exemple de l’oralité qui continue toujours de représenter nos espaces d’expressions et de communications. La musique se présente moins comme un moyen de divertissement, mais elle est bel et bien un lieu d’affirmation et de structuration identitaire. Ces continuums langagiers ont permis la sauvegarde d’une langue menacée. Avec, des causes sont abouties. C’est de cet art que Farid est né.
Farid M’Sili est né un 14 septembre 1976 en Kabylie dans les hauteurs d’Ath Yemmel l’actuelle Timezrit à Bejaia. Issu d’une famille qui regorgent déjà des artistes, grâce à son grand frère il a pu acquérir sa première guitare à l’âge de 13 ans. Une belle guitare classique qui lui a ouvert les portes à la musique moderne et occidentale, incarnée en Kabylie par Djamel Alam, Idir, les Abranis et plains d’autres talents et groupes. Très jeunes il donnait de l’importance aux activités culturelles. Forgé dans les associations dont certaines disposaient des cours de musique, à l’instar du centre FAJ « Foyer d’animation de la jeunesse » l’ancêtre des maisons de jeunes aujourd’hui. Sous la direction de Cheikh Kamel Belkadi et Djoudi Chibane du groupe ANYA ainsi d’autres noms qu’on ne cite pas assez souvent dans la région de Ath Yemmel mais leurs contributions à transmettre la musique à quelques adeptes étaient d’un prix inestimable.
Farid continue son chemin, les notes de musique le guidèrent dans sa quête d’apprendre et de comprendre cette merveille de la nature. De l’association AAJ à l’association TAFAT, cette autre école parallèle de la région, avec la talentueuse équipe théâtrale, les expositions et son travail culturel ont suscité conscience et engagement chez le jeune Farid. Dans cette association on y trouve de tout même les artistes peintres comme Slim Benlahlou. Ainsi le théâtre et la musique se sont mélangés ont faisant qu’uns désormais. Qui n’a pas cette lueur de souvenir de la troupe IMESFARAYEN de l’association TIWIZI N’UQABIW, animé par des talentueux comédiens autour des trois frères Aziz, Mohamed et Nadir, Djelloul Yakouben, Razik Touahria et d’autres. Farid M’Sili joue et accompagne avec sa guitare les belles prestations de la troupe, au passage la troupe a été primé par le TRB de Bejaia pour la pièce (Taḍṣa tawaɣit, teyyita tafenṭaẓit) un chef-d’œuvre. Cette troupe à donner au théâtre de Bejaia l’un de ses meilleurs à l’instar de Aziz Hemmachi. Une autre pièce où Farid M’Sili s’est distingué dans son travail musical, c’est la pièce Sin-Nni de Mohia une adaptation de « Les émigrés » de l’écrivain polonais « Slawomir Mrozekdans » une mise en scène de Mouhoub Letrech, cet autre grand artiste de la région n’Ath Yemmel. Les amoureux de la scène l’ont surement croisé dans l’une de ces prestations. Un génie des saynètes, de situations où cohabitent une dialectique désopilante à forts relents satiriques, l’absurde et le saugrenu, je pense à la pièce « Yederwech meskine » (il est devenu dingue, le pauvre !).
On est en 1995 en plein mal Algérien, le terrorisme et la folie meurtrière sont au rendez-vous, l’avènement de l’obscurantisme. Le courage et le combat à contre-courant des artistes à cette époque mérite toute notre considération, parce que l’artiste dans son art s’échappe de ce qui est, parce qu’il dénonce parfois subrepticement ou avec fracas, parce qu’il refuse de se conformer, parce qu’il nous oblige à questionner le monde sensible, à réfléchir sur nous-mêmes et à confronter nos pensées, nos visions, nos êtres. L’effort et l’engagement à l’image de Farid et ses compagnons ont est un exemple, il a osé crée un groupe avec ses amis Youcef Hemmachi, Yahia Mahdaoui, Bouzid Kati et Farid Tariket, avec des belles reprises de la chanson kabyles et occidentales ils scionnaient les villages et les montagnes Kabyle, ils apportent de la joie, ils étouffent les larmes et le chagrin.
Cette expérience musicale a forgé Farid, l’appétit artistique ne cesse de s’agrandir chez ce guitariste prodige. L’apparition et la pousser des merveilles chez les Ath Yemmel comme Kherdine Kati, Younes Kati, Karim Tariket qui jouaient déjà de la musique chaabi. Une fusion dans l’universalité et une rencontre a fait naitre l’un des très bons groupes que nous avons connus, il s’agit du groupe « Mazal » sous des influences reggae, blues, rock et même celtiques, ont pu mettre en valeur les profondeurs culturelles amazighe et africaine, le chanteur Hafit Boulkaria enflamme les scènes des quatre coins du pays, que c’est sublime avec ces humbles, Hemza Besbas, Brahim Medjber, Nabil Aoudia qui ont embelli cette formidable équipe. Plusieurs titres et reconnaissance pour ce groupe. Lauréat du premier prix au 2e festival local de la chanson et de la musique kabyles (Bejaia, 2009) et celui de la meilleure interprétation musicale au 2e Festival national de la musique et de la chanson Amazighe (Tamanrasset, 2009) sans compter d’autres récompenses dans divers évènement et festival.
Avec Farid c’est l’aventure. Du groupe Mazal au groupe Debza ce groupe mythique qui a toujours porté le combat des opprimés. Avec le dynamisme du chanteur Menad Herkat, Farid a apporté sa contribution dans plusieurs scènes, le dernier album de Debza était une réussite. Farid aimait jouer avec pleins d’artistes et groupes, comme le groupe Eclips de Barbacha. Après plusieurs années dans le travail musical, Farid est devenu un repère artistique, une école de musique. Aujourd’hui il forme des jeunes talents, à son actif sept groupes modelés dans la bonne musique comme IGLAN, TAFUKT, IGLAN 2, TAFUKT 2, IMENAYEN, AGRAWAL, BENX, récemment IFEṬṬIWJEN. Que c’est merveilleux de voir des jeunes de 10 ans joués du blues.
Ce portrait et hommage n’est pas exhaustive vu le parcours de Farid. Mais je tiens à ce qu’on se souvient de lui.
Merci Farid.
Toulouse le 05/04/2021