Sanctions américaines contre l’Iran : le pouvoir iranien en danger ?
Les sanctions américaines, entrées en vigueur le 7 août, combinées à la pression de la rue iranienne, de plus en plus excédée par la crise économique qui sévit dans le pays, peuvent-elles ébranler la République islamique ? Rien n’est moins sûr.
Hausse vertigineuse des prix, emplois menacés, instabilité économique, inflation, monnaie en chute libre : les Iraniens voient leur avenir s’assombrir alors qu’un premier volet de sanctions américaines est entré en vigueur le 7 août, en conséquence du retrait ordonné par le président Donald Trump de l’accord de juillet 2015 sur le nucléaire iranien.
Ces sanctions peuvent-elles faire vaciller le pouvoir iranien ? Une intention fréquemment attribuée au président américain, et dont rêvent à voix haute les faucons présents dans son entourage, à commencer par son conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Les avis divergent sur les chances d’atteindre cet objectif ultime présumé, qui consiste à déstabiliser la République islamique, en accentuant les pressions économiques sur un pays déjà en crise, afin d’encourager la population à renverser le pouvoir.
« Je vois mal les Iraniens accepter de continuer à souffrir »
« Les sanctions vont peser très lourd dans la balance, au point peut-être d’ébranler, certainement pas à court terme mais à long terme, le pouvoir iranien. Les conséquences des sanctions vont provoquer beaucoup de questionnements dans l’esprit des Iraniens, qui vont énormément en souffrir. Ce qui pourrait les amener à s’interroger sur la légitimité du régime », estime Jean-François Seznec, professeur de relations internationales, à la Johns Hopkins University, interrogé par France 24.
Pour lui, ces sanctions pourraient avoir des conséquences sur la politique régionale de l’Iran, décriée par les Occidentaux. « Je vois mal les Iraniens accepter de continuer à souffrir pendant que Téhéran continue, par exemple, à financer des mouvements étrangers comme le Hezbollah au Liban ou les houthis au Yémen, précise-t-il. Or, si l’économie du pays s’effondre, l’Iran ne pourra plus avoir les moyens de ses ambitions régionales, et c’est aussi l’un des buts recherchés par l’administration américaine ». À moins que les dirigeants de la République islamique ne parviennent à convaincre, voire à forcer la population à accepter de faire des sacrifices, poursuit-il, il est évident que « tôt ou tard, ils seront même obligés de négocier avec les Américains« .
Selon le spécialiste, sur le plan politique, le président modéré Hassan Rohani se retrouve dans une position intenable, car même s’il était tenté de négocier, il ne peut le faire sans l’aval du guide suprême Ali Khamenei. C’est lui qui a toujours le dernier mot dans le système iranien. « Et si jamais l’aile dure du régime profite de cette conjoncture pour écarter Hassan Rohani, les extrémistes seront seuls en première ligne face au mécontentement et à la pression de la rue, ce qui peut être périlleux pour la survie du régime », souligne-t-il.
À terme, les sanctions économiques combinées à la pression de la rue peuvent placer le régime dos au mur, estime de son côté Behnam Taleblu, du think tank conservateur américain Foundation for Defense of Democracies. « Les dirigeants iraniens devraient prendre au sérieux les manifestations organisées depuis fin 2017 dans les provinces, car elles sont le fait de la base sociale du régime, les religieux et les populations défavorisées, voire pauvres, c’est-à-dire les gens pour lesquels l’ayatollah Ruhollah Khomeini a fondé la République islamique », explique-t-il à France 24.
Téhéran « n’avait pas été affaibli par les précédentes vagues de sanctions »
D’aucuns estiment que les sanctions ne sont pas réellement efficaces contre le pouvoir. « Les Iraniens n’ont pas attendu l’entrée en vigueur des sanctions américaines pour être excédés par la situation économique du pays », explique à France 24 Azadeh Kian, professeur de sciences politiques, spécialiste de l’Iran.
Si elle redoute les effets dévastateurs des sanctions sur le pouvoir d’achat des Iraniens, elle rappelle que ces mesures, qui mettent en péril près d’un million d’emplois dans l’industrie, sont toujours prises au détriment de la société civile, des classes moyennes et populaires. « Le pouvoir iranien n’avait pas été affaibli par les précédentes vagues de sanctions, prises par le Occidentaux avant la signature de l’accord sur le nucléaire, puisqu’il avait même été jusqu’à continuer à enrichir de l’uranium jusqu’à 20 % ». Azadeh Kian pense même que les sanctions américaines profiteront aux contrebandiers et à certains dirigeants suffisamment puissants pour s’enrichir grâce à l’exportation illicite de pétrole et de produits locaux.
« Même s’il y a une colère généralisée dans le pays à cause des difficultés économiques, les forces d’opposition, désorganisées et manquant cruellement de leaders, ne sont pas susceptibles de vouloir coopérer ouvertement avec les États-Unis pour renverser le pouvoir. Ils savent qu’une telle initiative serait brutalement réprimée par les forces de sécurité iranienne », a expliqué de son côté Massoumeh Torfeh, de l’École d’économie de Londres, interrogé par Al-Jazeera. Comme en 2009, lors du mouvement de contestation contre la réélection du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, maté dans le sang.
Signe de l’inquiétude de Téhéran, soutenu tout de même par la Chine et la Russie, le président Hassan Rohani a appelé les Iraniens à faire bloc, à rester unis pour aider le gouvernement à rétablir la stabilité économique, avant la deuxième salve de sanctions américaines prévue en novembre. Reste à savoir s’il sera entendu.
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